Cabinet de Psychothérapie et de Coaching à Auvers-sur-Oise (95)

Enseignant, éducateur, coach… sortir de la solitude pour réguler sa pratique

Les métiers de l’accompagnement sont faits de contradictions, de paradoxes, de décalages, de confusions. La première confusion potentielle résidant probablement dans le fait que l’autre, celui que j’aide, que j’accompagne, à qui j’enseigne, est également celui qui me fait vivre.

La solitude, inhérente à la plupart de ces métiers, fait également office de contradiction apparente : si l’on s’attend logiquement à être seul en embrassant la profession de berger ou de gardien de phare, on peut en être surpris lorsqu’on devient enseignant ou médecin. Et pourtant, ce sont des professions dans lesquelles on rencontre de grands moments d’isolement. En effet, ce sont des métiers où la relation a lieu sur une position dissymétrique : maître-élève ; thérapeute-patient… Ce qui emmène les uns à occuper une position qu’ils ne peuvent pas partager avec les autres. Ils partageront leur savoir, leurs compétences, peut-être même leur plaisir d’être là, mais ils ne pourront partager quelque chose de plus fondamental avec lequel ils se retrouveront objectivement isolés et qui constitue le cœur de leur identité professionnelle.

C’est d’ailleurs cet isolement – sur la base d’une relation dissymétrique – qui se trouve à la base de bien des situations d’abus. (On parle à ce propos d’abus de position dominante.) D’une part, là où il y a un abuseur et un abusé, il y a généralement un manque de tiers ; l’autre a fait défaut à un endroit, au moins par son absence. D’autre part, ce sont cette absence et cet isolement qui peuvent conduire – pour s’en défendre – à investir l’autre dans une relation fusionnelle, terreau fertile pour les abus et manipulations de tout ordre.

Heureusement, il existe plusieurs moyens pour sortir de l’isolement, explorons-en quelques-uns ensemble.

Un massage très investi

« C’est la première fois que vous vous faites masser ? »

Allongé sur la table de massage, dans un premier temps je suis tenté de répondre que non : j’ai été massé à de nombreuses reprises au cours de ma vie. Cependant, je me rends compte que c’était toujours à visée thérapeutique et que chaque massage dont j’ai bénéficié correspondait à une nécessité clairement identifiée. J’étais donc très curieux de ressentir les bienfaits de ce qu’on appelle un massage-détente. J’avais cependant l’appréhension de n’y trouver qu’une action en surface ; j’oubliais à quel point la peau est réceptacle de perceptions, de sensations, ainsi que surface d’échange avec l’environnement.

Finalement, je fus rapidement touché par la précision et la générosité du masseur à qui j’avais affaire et qui s’était donc mis en œuvre pour me détendre. Mais précisément, sa générosité m’interpellait, j’y percevais un don de lui-même qui confinait au sacrifice. C’était extrêmement agréable, délicat, à propos, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me demander comment pouvait-il faire pour livrer une telle qualité de présence à l’autre pendant une journée de travail entière. Si on multipliait par cinq ou six, ça dépassait mon entendement. Finalement, je lui demandai : « Vous devez être crevé à la fin de la journée, non ? ». La réponse ne se fit pas attendre. Oui, crevé.

Faire la part des choses pour se protéger

J’avais sans doute affaire à quelqu’un qui se définit comme une éponge, absorbant les affects des autres et les mêlant aux siens sans pouvoir se distinguer dans la mixture obtenue, jusqu’à se retrouver complètement envahi. J’aurais aussi bien pu rencontrer quelqu’un qui se blinde, fixant de manière arbitraire la limite qui ne sera jamais franchie et renonçant pour cela à une partie de ses propres sentiments. On trouve ce mécanisme de défense de façon quasiment obligatoire dans les professions qui côtoient l’horreur et la mort de façon quotidienne. Seul un blindage émotionnel épais, autrement dit l’extinction d’une partie de soi-même, y garantit la survie psychique.

Si je suis sensible à ces facettes qu’on rencontre dans tous les métiers de la relation, c’est en grande partie pour les avoir expérimentées dans ma propre chair. Jeune maître d’armes à l’époque, la relation avec mes élèves était devenue progressivement fort envahissante, en particulier avec les adolescents qui sollicitent facilement l’adulte à entrer avec eux dans des liens forts et intenses. Ces relations prenaient beaucoup de place : j’étais par exemple très touché, au retour des compétitions, si les résultats n’avaient pas été à la hauteur des espérances de mes élèves. Ils occupaient mon esprit, même en dehors des cours, et je devenais focalisé sur eux, leurs objectifs, leurs soucis d’ados, leur bien être. Rien d’étonnant à cela lorsqu’on connaît l’intensité des relations qu’engendre le cadre sportif compétitif : entre les entraînements, les stages, les trajets autour du pays, les repas et les soirées à la veille des épreuves, l’entraîneur est potentiellement amené à passer davantage de temps avec l’athlète que ses propres parents. Il se peut même que par le jeu des transferts croisés, l’entraîneur, parent symbolique, entre en rivalité avec les parents réels, l’enfant ou le jeune se retrouvant pris dans un ingérable conflit de loyauté. Au-delà, l’entraîneur – comme tout parent – pourra s’avérer suffisamment bon, marque déposée par Donald W. Winnicott, ou au contraire rigide, instable émotionnellement, voire violent et abusif.

De quoi s’y perdre, surtout lorsqu’on n’a pas été sensibilisé sur le sujet au cours de la formation, ce qui est vrai encore aujourd’hui dans la quasi-intégralité des métiers de l’enseignement, de l’éducation, de l’animation, du sport, et j’en passe. J’ai longuement abordé ce sujet dans Le Bruit des lames, qui raconte le métier d’entraîneur vu de l’intérieur.

Aujourd’hui, j’aimerais proposer un tour d’horizon des possibilités qui sont à notre disposition lorsqu’on fait un métier où la relation est essentielle, afin de mieux la vivre pour soi-même et pour ceux et celles que nous rencontrons et accompagnons.

S’aider soi-même avant d’aider les autres, la psychothérapie

Tout le monde n’a pas besoin d’une psychothérapie, je le maintiens. Cependant, tous ceux et celles qui souhaitent s’occuper d’éducation ou du soin de l’autre, ont probablement intérêt – pour eux comme pour leurs élèves, disciples, patients, clients – à investiguer leur sphère psychique. Dans le jargon, on appelle ça nettoyer ses lunettes, c’est bien utile pour éviter de trop inclure l’autre dans les failles et les angles morts de son propre fonctionnement. Ça n’est cependant pas suffisant ; si la psychothérapie suffisait à guérir les blessures, ça se saurait. Mais elle est bien utile pour aller à sa propre rencontre et mieux vivre avec soi-même.

Faire du tri, prendre du recul : la supervision

Que fait un psy lorsqu’il ressort d’une séance en se disant que malgré ses 15 ans de thérapie ou d’analyse personnelle, sa formation et son expérience professionnelle, ce patient l’a beaucoup trop ému pour que cela soit anodin ? Que fait ce même psy lorsqu’un autre jour, il se demande comment supporter sa patiente du jeudi qui passe son temps à se plaindre ?

Ou bien encore, pour ceux et celles qui ont regardé En thérapie sur Arte* (disponible en replay), que fait-il lorsqu’il s’aperçoit qu’il est beaucoup moins insensible qu’il ne le pensait face aux charmes de sa patiente du lundi qui – de plus – vient de lui avouer qu’elle était amoureuse de lui ?

La réponse est connue : il va en supervision. Là, en groupe ou individuellement, il pourra évoquer le cas qui le préoccupe afin de tenter d’y voir plus clair. En parlant de ce qu’il observe, ressent et comprend de la relation avec ce ou cette patient(e), il pourra commencer à démêler ce qui semblait inextricablement noué. Peut-être s’apercevra-t-il alors qu’il a été pris dans le système relationnel de l’autre, auquel cas la séance de supervision l’aidera à entrevoir des façons de faire différemment. Peut-être également va-t-il s’apercevoir que la problématique du patient entre en résonnance avec sa propre histoire, auquel cas la nécessité d’aller travailler cette problématique en thérapie fera peut-être jour. C’est ainsi que nombre de psys, ayant cessé leur analyse ou leur thérapie, la reprennent lorsqu’ils commencent leur pratique professionnelle parce que leurs premiers patients viennent les aiguillonner sur un point sensible.

Il se peut également que le superviseur ou la superviseuse émette des réserves quant à la possibilité pour le psy de poursuivre la thérapie avec ce patient. Peut-être convient-il de l’orienter sur un autre professionnel, plus à même de l’aider dans de bonnes conditions. Dans tous les cas, le psy va bénéficier d’un point de vue extérieur qui va l’aider à se décoller de son patient, l’empêcher d’entrer en fusion avec lui en absorbant son mal-être, en le détestant ou en en tombant amoureux ; réintroduire de la différence. Cette différence qui a peut-être tant manqué au patient qu’il amène ce manque jusque dans le cabinet du psy, pour demander à l’autre de l’aider à en faire quelque chose.

* Il est à noter que la superviseuse, interprétée dans la série En thérapie par Carole Bouquet, évolue dans une confusion des postures, tantôt superviseuse, tantôt analyste, tantôt psychothérapeute de couple, ce qui n’aide pas le personnage du psy de la série à remettre du cadre dans sa vie professionnelle et personnelle. Sans doute aurait-elle – elle aussi – besoin d’un tiers pour sortir de cette relation confuse.

Développement professionnel et formation continue : les GAPP

Le lecteur curieux se reportera à ce billet sur les GAPP (groupes d’analyse des pratiques professionnelles). Fréquents en institution hospitalière notamment, et dans le milieu médico-social en général, les groupes d’analyse des pratiques ont été créés sur la mouvance des groupes Balint, regroupant des médecins désireux d’échanger entre eux sur leurs pratiques. Ils fonctionnent sous la conduite d’un animateur et se situent à la croisée de la formation professionnelle et de l’échange de pratiques entre pairs.

Pour avoir eu l’opportunité d’animer des GAPP ces dernières années, je peux attester de ce double intérêt : partager et se former tout en s’appuyant sur le récit des autres et leur écoute. Il est d’ailleurs fréquent de croiser des personnes ayant bénéficié de GAPP et qui en conservent un souvenir très positif.

Prendre appui sur les pairs : groupes d’échanges, de co-vision, de partage, d’intervision, de codéveloppement…

Pour la plupart non institutionnalisés, des groupes professionnels de toutes sortes existent dans les professions de l’accompagnement. À titre d’exemple, en tant que coach professionnel, j’ai longtemps été membre d’un groupe de pairs qui se réunissait chaque mois et au sein duquel nous échangions sur nos pratiques, évoquions nos difficultés ou nos réussites, travaillions ensemble sur des outils ou des méthodes que nous avions apprises en formation. Lieux d’échanges et de rencontres, ces groupes ont pour fonction de tirer les professionnels de l’isolement de leur pratique en cabinet.

Réguler, partager, ouvrir

Ces démarches et processus existent. Cependant, ils sont parfois difficiles à mettre en œuvre, en particulier du point de vue du financement. Pour un professionnel libéral, par exemple, la question du financement d’un groupe d’analyse des pratiques ne dépend que de lui-même. Pour un salarié en institution, il sera financé par l’employeur. Mais quid des professions salariées dans lesquelles aucun processus de ce type ne sera financé ? Je pense bien sûr aux enseignants, mais également aux salariés du système associatif opérant dans le domaine du sport et du loisir. Alors il n’y a que deux options : déplorer l’absence de processus de régulations, ou bien en prendre la gestion et le financement éventuel en main. La nécessité de se réguler sa pratique, lorsque cela n’est pas obligatoire comme l’est la supervision pour la plupart des praticiens en psychothérapie, devient alors une initiative individuelle, qui peut alors trouver écho dans des groupes interprofessionnels. Imaginez un groupe de supervision composé d’une ostéopathe, d’un éducateur sportif, d’une orthophoniste, d’un professeur du secondaire et d’une conseillère en insertion professionnelle, qui se réunissent une fois par mois pour échanger ensemble sur les difficultés qu’ils peuvent rencontrer avec un client, une patiente, un usager, une élève. Voilà un cadre qui permet de penser sa pratique et ses relations pour sortir de l’isolement. Il n’y a plus qu’à.

Pour aller plus loin :

  • Le Bruit des lames, essai sur le métier de maître d’armes et les vicissitudes de l’isolement professionnel en milieu relationnel intense

 

Image du bandeau : Christine SchmidtPixabay

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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)

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Ne touchez pas à mes peurs !

  1. gerard six

    Encore une fois Pascal, tu as montré du doigt, de l’esprit et du cœur une des facettes importante de notre métier (passion parfois, obsession quelquefois) qui ne se fait pas en télé-travail mais au contact (aux contacts) : physique, intellectuel et surtout relationnel !
    Tu nous montres que ces relations enseignant enseignés ne sont pas équilibrées, forcément déséquilibrées … et que les retours, feedbacks, … Sont parfois décevants, trop attendus et donc inattendus. Que le professeur a besoin de références et de référents dans cette solitude du « donneur » de fond !
    Merci de cette approche et des solutions que tu proposes
    Merci de ton expertise
    Gérard Six

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