Certaines œuvres populaires saisissent à merveille un enjeu ou un autre de la vie psychique et des relations humaines. Elles nous permettent alors d’atteindre une compréhension parfois plus fine que celle qu’on pourrait apprendre dans le meilleur manuel. Dans cet ordre d’idée, j’ai déjà évoqué Vice-Versa sur ces pages, à propos des émotions, A Star is born sur la question de l’amour fusionnel ou Into the wild pour pointer la quête d’indépendance lorsqu’elle est menée à son paroxysme.
Le thème de la violence faite aux enfants a souvent été porté à l’écran, mais jamais probablement aussi finement que dans Will Hunting, histoire poignante transcendée par l’interprétation de Matt Damon et Robin Williams.
Misère sociale et mathématiques
Le film raconte l’histoire de Will Hunting, jeune orphelin sur le fil de la délinquance, sauvé de la prison par un mathématicien qui décèle son génie pour les sciences. Dans le cadre du suivi prescrit par le juge d’application des peines, Will est alors contraint de voir un psy et – après plusieurs essais aussi cocasses qu’infructueux – rencontre Sean, incarné par Robin Williams, qui signe une interprétation dans la veine du Cercle des poètes disparus et dans son registre favori, celui du rebelle au grand cœur. Le psy va tenter de s’approcher de Will comme on apprivoise un animal apeuré, ce dernier étant aussi génial que barricadé derrière l’immensité de son intelligence, dont il se sert pour tenir les autres à bonne distance. Il est question ici de la confiance que Will peut s’autoriser à accorder aux autres, un thème central pour ceux qui ont subi des maltraitances. Le surinvestissement de son ego en forme de château de cartes prêt à s’effondrer à la moindre brise, qui permet l’illusion de n’avoir besoin de personne, rappelle d’ailleurs la personnalité du héros d’Into the wild, que j’avais chroniqué ici.
Le film montre comment un nouveau lien va émerger petit à petit entre les deux hommes et permettre à Will de donner un sens différent aux violences qu’il a vécues, sans qu’il ne nous en soit fait étalage.
Suggestion et conséquences de la violence
L’un des mérites de ce film consiste en effet à ne pas montrer la violence subie par Will, tout juste verrons-nous des photos d’impressionnants hématomes et cicatrices, mais à en mettre en scène les conséquences sur sa vie et ses relations. Will Hunting présente une impulsivité et un caractère difficile, ainsi qu’une difficulté évidente à aimer et à se laisser aimer. Sean lui fera remarquer qu’en écartant sa petite amie de la scène, Will évite non seulement d’être quitté le premier, mais également de faire la découverte d’un amour si puissant qu’il pourrait y perdre les repères qu’il s’est construit en se murant derrière sa répartie et son intelligence. En se positionnant au-dessus de tout le monde, Will s’est rendu inatteignable.
Une estime de soi en pièces
Derrière ces remparts bien défendus et cette dureté d’acier, on perçoit parfois l’adolescent fragile et sensible que l’interprétation fine de Matt Damon nous permet de voir lorsque son visage se relâche , lorsqu’il se laisse aller à un peu de détente. Mais vite, la rigidité reprend ses droits. Will se maltraite entre les bastons, l’alcool et les cigarettes qu’il enquille l’une derrière l’autre, nous laissant imaginer le peu d’amour qu’il porte à lui-même et à ce corps, que d’autres ont tant bafoué qu’il ne perçoit pas le sens que cela pourrait avoir de prendre soin de lui.
C’est pas ta faute
Le point culminant du film se situe dans la célèbre scène où Robin Williams permet enfin à Will de recontacter la violence qu’il a subie, l’injustice, l’incompréhension, le chagrin. « C’est pas ta faute. » Cette réplique, psalmodiée par le psy ad libidum, finit par provoquer les larmes, puis les sanglots de Will, et les nôtres avec lorsque le personnage interprété par Matt Damon se réfugie dans les bras de Robin Williams. Magistrale mise en scène de la façon dont l’enfant qui subit la violence des adultes, pour expliquer l’inexplicable, se réfugie dans une infinie culpabilité. Oui, pour que ceux qui sont censés le protéger lui fassent autant de mal, il n’y a qu’une seule explication, la seule qui puisse lui éviter la folie ou la mort : il doit être une personne méprisable qui a fait une bêtise énorme. Lorsque le psy dit à Will : « toute cette merde, c’était pas ta faute », il pointe l’œil du cyclone, le cœur du traumatisme, ce qui demeurera bien plus douloureux que les coups reçus : le désarroi face à la trahison, que Will avait mis des années à recouvrir avec des trésors d’intelligence, de persévérance et de mépris à l’égard des autres et de ce qu’il avait enduré.
Rédemption
Le film se termine de façon optimiste, on peut penser que Will a fait le plus gros. Mais dans la vie, on sait bien que des expériences traumatiques comme les siennes ne disparaissent pas en deux coups de cuiller à pot. Se pardonner à soi-même est un long chemin. Se réapproprier son corps lorsqu’il a été abusé également. Les résistances de Will à voir un psy témoignent de la hauteur de l’obstacle. Pour aller réellement mieux, il sait désormais qu’il faudra renoncer à certaines des défenses qu’il a mises en place pour survivre, parce qu’elles sont devenues inadaptées. Démonter, reconstruire, un travail de patience, un travail de patient.
Et puis, cela ne gâche rien, la figure du psy interprété par Robin Williams nous plaît bien. Capable de parler de lui pour aider Will à se livrer, mais également de tenir les rênes sans complaisance pour confronter son jeune patient lorsqu’il le faut, Sean présente une figure de psy humaniste aux épaules solides à laquelle on peut s’identifier lorsqu’on est sensible à la relation. Une raison de plus de voir ou revoir Will Hunting, film profond, drôle et intelligent, qui nous éclaire sur la honte et la culpabilité de tous ceux qui ont traversé la violence.
Pour aller plus loin :
- Autre acteur prodige à ses débuts, autre film sur l’enfance battue, violence et perversion au programme, difficile de ne pas évoquer Blessures secrètes (This Boy’s life en VO) avec Leonardo Di Caprio et Robert De Niro.
- Pour ceux qui connaissent le film par cœur et voudraient assister une fois encore à l’étreinte entre Will et Sean, la fameuse scène « C’est pas ta faute », ici en VF et là en VO.
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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)
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