Cabinet de Psychothérapie et de Coaching à Auvers-sur-Oise (95)

l'entraîneur-gourou et son influence sur le sportif

Entraîneur, entre grandeur et dépendance

« Je n’ai qu’un souhait, si mon nom reste associé à ces moments magiques.
Que l’on dise plus tard : cet honnête homme a bien fait son travail. »
Aimé Jacquet

Un druide, un gourou, c’est ainsi qu’on qualifie parfois les entraîneurs dans le milieu du sport de haut niveau. Le druide pour le mystère de la provenance des connaissance, le gourou pour l’influence quasi-mystique qu’il obtient sur ses disciples. Il en existe dans toutes les disciplines, même si certains sont plus médiatisés que d’autres, on pense par exemple à Guy Roux, ou bien sûr à Philippe Lucas, l’ex-entraîneur de Laure Manaudou demeurant un exemple caricatural de l’entraîneur tout puissant :

Mais cette toute-puissance, si elle fait des ravages sur les podiums mondiaux et olympiques, n’est pas exempte d’une face sombre. Chaque médaille a son revers.

Le gourou et ses disciples

La porte du gymnase s’ouvre. Une dizaine d’athlètes, assis en silence, écoutent la causerie du maître, de l’entraîneur, du coach, du sensei, selon le nom qu’il prend en fonction des disciplines. Lui, grandiose, parade au milieu du groupe comme un conférencier sur la scène d’un amphithéâtre, exposant non seulement sa technique et son savoir, mais aussi quelques considérations philosophiques, voire poétiques et littéraires, le tout ponctué de quelques flamboyants traits d’humour. L’allocution dure une vingtaine de minutes, les jeunes semblent fascinés. Il est un leader charismatique, un meneur d’hommes. Quand il parle, l’autre se trouve dans un état quasi-hypnotique. On le suivrait partout, pour ses idées, pour la conviction qu’il incarne. Alors, c’est ainsi, ils le suivent ; d’ailleurs, ils ne suivent que lui. Toute opportunité de travailler avec quelqu’un d’autre est systématiquement mise de côté, sauf s’il est là pour les superviser. Ils sont ses athlètes, car il y a bien quelque chose ici de l’ordre de la propriété.

Changement de décor : dimanche après-midi, un gymnase de province. L’adolescent pris à parti par son entraîneur devant l’intégralité des personnes présentes parce qu’il vient de perdre son match baisse la tête et encaisse en silence. Dévalorisation, vexation, insultes parfois ; il reste sans réaction en attendant la fin de l’orage. Du reste, il n’a pas d’autre choix. S’insurger menacerait fortement sa relation avec son entraîneur qui ne supporterait probablement pas d’être remis en cause publiquement, sans compter que l’athlète risquerait de mettre au jour son manque de caractère devant les spectateurs de la scène. Oui, vous avez bien noté la pensée paradoxale, car c’est bien sûr en se rebellant qu’il ferait ici preuve de caractère, si tant est qu’il y ait quelque chose à prouver. Mais dans le paradigme du sport de haut niveau, c’est par sa capacité à encaisser les coups, au propre comme au figuré, que l’athlète démontre sa force, et non en s’en protégeant. Là où – a minima – ce jeune devrait pouvoir commencer par dire à l’autre : « tu n’as pas à me parler comme ça », il se trouve que cette opportunité est proche de l’impensable. Cela nous alerte sur la question de l’emprise, lorsqu’on met cela en lien avec la séduction décrite plus haut. Mais avant de juger, tentons de comprendre pourquoi ce type de lien s’invite-t-il dans la relation entraîneur-entraîné.

Solitude et dépendance

Nul n’entre dans le secret des dieux. L’entraîneur est isolé, en particulier dans le sport amateur. En rivalité permanente avec ses collègues pour des résultats, évoluant souvent dans des structures trop petites pour bénéficier de plusieurs postes, il s’appuie avant tout sur lui-même pour avancer. Ce type d’environnement favorise les personnalités égotiques, vaguement caractérielles, à qui on tolérera des écarts de comportement compensés par leurs résultats flamboyants. En l’absence d’une éthique solide et d’une déontologie de la profession qui tienne la route, les athlètes risquent quant à eux de devenir les objets de réussite de leur entraîneur, installant une relation d’interdépendance dans laquelle on ne sait plus qui a le plus besoin de l’autre.

En effet, le sport de compétition est un milieu empli de personnes en quête de reconnaissance, que ce soit celle de leurs parents, de leur famille, de leur nation, du monde entier ou simplement d’eux-mêmes. Je ne parle pas ici de la compétition telle que je l’évoquais dans ce billet, comme une façon éducative de se mesurer à soi-même et aux autres, d’apprendre la victoire et la défaite, mais de la compétition comme un besoin d’être toujours plus fort, plus performant et de battre un nombre d’adversaires toujours plus grand. Ici, on trouve en point de mire des objectifs plus profonds qui vont chercher du côté de la sphère narcissique et de la survie : prouver sa valeur à soi-même ou aux autres et se sentir vivant grâce à un continuel excès de sensations.

Dans cette optique, l’entraîneur ne dispose comme reconnaissance que de celle qu’il tire des résultats de ses élèves. Il est donc extrêmement difficile pour lui de ne pas tomber dans le travers du parent qui dépose ses rêves et ses objectifs sur les épaules de son enfant : tu seras champion olympique, mon fils.

La propriété de la performance

De là, il est aisé d’oublier les fondamentaux, ceux-là même qu’on passe pourtant ses journées à enseigner aux jeunes. La performance est la propriété de l’athlète, il en est le seul responsable. Elle n’appartient ni à l’entraîneur, ni aux parents, ni à la structure, à la fédération, à l’institution en général. Accompagner l’athlète, le guider, ne revient pas à décider pour lui de ce qui est bien ou non, bon ou mauvais pour sa carrière sportive, voire pour sa vie. Facile à dire, moins à mettre en œuvre. Et dans le cas des entraîneurs qui franchissent les limites de leur position en s’immisçant dans la vie de leurs protégés, on peut se poser la question de ce besoin de prendre ainsi l’ascendant sur l’autre. La fragilité que cela nous évoque invite à envisager l’entraîneur-gourou comme celui à qui il manque quelque chose de si primordial qu’il devra – pour l’ignorer – se rendre indispensable pour l’autre. Les jeunes athlètes, qui évoluent souvent loin de leur famille dans la période sensible de l’adolescence, sont particulièrement réceptifs et demandeurs de ce type de relation fusionnelle où ils viennent occuper une position complémentaire. L’emprise signe donc comme souvent la rencontre de deux manques qui s’épousent de façon inconsciente.

Je ne fais bien évidemment aucun lien systématique entre l’entraîneur charismatique et le gourou. Nous avons besoin de figures inspirantes, de modèles, comme l’ont été nos parents pour la plupart d’entre nous. Le ver n’est pas dans le fruit et le charisme est un appui solide pour transmettre un enseignement, une idée, un discours. C’est lorsque ce charisme est mis à profit pour servir le narcissisme de l’entraîneur que le bât blesse, et non lorsqu’il lui sert à magnifier son propos.

Je ne nie pas non plus le fait que l’entraîneur doive parfois bousculer ses troupes pour faire naître l’étincelle qui leur permettra de gagner. La fameuse causerie d’Aimé Jacquet à la mi-temps de France-Croatie en 1998 en est une admirable démonstration :

D’autre part, le propos que j’ai illustré ici avec le sport de compétition est allègrement transposable à certains modes de management en entreprise, ainsi que, bien sûr, au milieu universitaire où l’entraîneur s’appelle tuteur, directeur/trice de recherche, etc.

A l’heure où on parle beaucoup de harcèlement moral, il serait utile – au lieu de mettre de place un énième système de prévention dont les années qui passent nous démontrent l’inefficacité – de comprendre la dynamique relationnelle qui conduit à ces situations de souffrance afin d’en transmettre quelque chose d’intelligent dans la formation initiale et continue des éducateurs.

En attendant, une fois n’est pas coutume, je conclurai ce billet avec un extrait de mon livre Le Bruit des lames, qui illustre avec tout le lyrisme nécessaire la difficulté pour l’entraîneur de se situer dans la relation avec l’athlète et sa performance. Être un gourou ou bien n’être rien, serait-ce l’alternative de l’entraîneur qui ne parvient pas à se satisfaire d’être simplement l’honnête homme dont parle Aimé Jacquet ?

La sueur et les larmes

« Bien sûr, tu as rêvé mille fois de cette image : Jean-François Lamour, à peine descendu du podium olympique de Séoul et courant offrir sa médaille à son entraîneur. Tu as rêvé mille fois des embrassades à la descente d’un podium comme celui-là, même moins glorieux. Tu as senti la moiteur de la transpiration que ton tireur viendrait partager avec toi, dans une étreinte qui résumerait en quelques secondes des centaines d’heures d’entraînement, les sacrifices, les engueulades et tout le reste. Cette étreinte, c’est plus fort que tout ; plus fort qu’un premier baiser, plus puissant qu’une réconciliation après une dispute, c’est le moment où tout le film te revient en mémoire, comme une série de petits éclairs. On dit que celui qui meurt voit défiler sa vie. Pour vous deux, c’est une vie commune tournée vers un seul but et l’accomplissement de ce but que vous voyez défiler dans les yeux de l’autre.

C’est la mort, puisque c’est enfin fini. C’est la naissance aussi, tant attendue, de cette performance qui est comme un enfant, un enfant-médaille. En quelques secondes, vous vous souvenez des joies partagées, des premières récompenses, breloques insignifiantes, des contre-performances, des moments où on va lâcher, de ceux où on y croit. Vous savez tous les deux que c’est terminé, qu’il n’y aura probablement rien de mieux, que c’est fini. En réussissant enfin, en parvenant enfin au bout, vous savez que vous perdez ce qui vous était finalement le plus précieux : ce chemin que vous avez tracé ensemble.

Car maintenant, vous savez la valeur du chemin. Et vous pleurez, de joie, de tristesse, mêlant la sueur aux larmes. C’est une passion extraordinaire, de celles dont Flaubert dit qu’elles produisent les œuvres sublimes. L’œuvre est là, vous avez atteint le paroxysme, l’apogée de votre histoire. C’est fini.

Bien sûr, tu ressasses tes rengaines morales habituelles, mais elles ne veulent plus rien dire à ce moment-là. L’entraîneur doit être un guide. Il n’emmène pas l’athlète là où lui le désire, comme un berger son troupeau, mais donne à l’athlète les moyens d’aller là où il veut. La performance appartient à l’athlète, il en est responsable. De toute façon, tu sens bien que la performance t’échappe. Même si tu voulais croire un instant que tu as un droit de propriété dessus, ça te serait difficile tellement tu sens que tout te glisse entre les doigts. Lorsque son étreinte autour de ton cou se desserre, c’est tout un monde qui s’effondre brutalement et le sol qui s’ouvre sous tes pieds.

Tu n’es plus rien que ce qu’on voudra bien dire ou penser de toi. Lui, les autres ; tes collègues, les dirigeants de ce système pour lequel tu as signé sans vraiment savoir. »

Le Bruit des lames, Auvers-sur-Oise, Desanglades, 2020

Pour aller plus loin :

 

Image du bandeau : TumisuPixabay

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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)

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  1. Gerard Six

    Encore une fois , il est difficile de dire mieux sur ce sujet important de bien des sports qui entraine bien des dérives! Bravo et merci Pascal

  2. Champeaux

    Encore un bel article, ton écriture est délicieuse et très claire pour quelqu’un comme moi qui ne connais pas le milieu du sport de haut niveau. Cela m’a éclairée sur la difficile relation entre un entraîneur et son athlète. Très intéressant. C’est toujours un plaisir de te lire.
    A bientôt

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