Princesse Mononoke sort au cinéma en France En 2000. Les quelques 92 copies (de mémoire) distribuées sur le territoire en font un événement au caractère confidentiel, et pourtant il se passe quelque chose. Il s’agit du premier film d’Hayao Miyazaki bénéficiant d’une sortie nationale en France. Mononoke s’affiche sur les colonnes Morris, recouverte de sa peau de loup, le sang aux lèvres. En ressortant de la séance, il me faut quelques heures pour assimiler ce à quoi je viens d’assister. Jamais je n’ai vu d’univers aussi riche en dessin animé ; jamais je n’ai vu de personnages aussi travaillés, ni une telle profusion de personnages secondaires, dont je pourrais décrire plusieurs traits de caractères alors qu’ils n’apparaissent pour certains que quelques secondes à l’écran. La même impression me traversera après avoir visionné Le voyage de Chihiro quelques années plus tard : comment peut-on passer tant de temps à dessiner un décor qui ne sera traversé qu’une fois par un personnage – en courant encore – et qu’on ne reverra plus ensuite ? Ce sont des détails de ce genre qui font les grandes œuvres.

Depuis, j’ai revu Mononoke à plusieurs reprises et continue de le considérer comme un chef d’œuvre du cinéma ; j’ai été subjugué par Chihiro et n’ai pas loupé un Miyazaki en vingt ans. Certaines œuvres du studio Ghibli m’avaient en revanche échappé et le confinement a été l’occasion de rattraper mes lacunes. Plutôt que de vous parler des succès les plus connus de Ghibli, je vais donc profiter de ce billet pour évoquer deux longs métrages animés qui m’ont particulièrement touché.

Si tu tends l’oreille, romantisme adolescent et quête initiatique

Si tu tends l'oreille, amour adolescent et quête initiatique

Si tu tends l’oreille met en scène la rencontre de deux collégiens, leur amour et la découverte de leurs aspirations les plus profondes. Le film est minimaliste (pas de sorcières, de dragons, ni de châteaux invraisemblables) et peut surprendre le spectateur peu familier avec la veine plus contemplative du cinéma japonais, mais il vaut le visionnage, ne serait-ce que pour une scène, que je vais décrire maintenant. Il suffira donc au lecteur de passer directement au paragraphe suivant s’il n’a pas vu le film et souhaite en conserver la surprise. Il s’agit d’un dialogue entre Shizuku, l’héroïne, et ses parents ; ces derniers s’inquiétant des piètres résultats scolaires de leur fille au 3e trimestre, résultats qui conditionnent son entrée au lycée. Shizuku s’est en effet attelée à l’écriture d’un livre afin de rejoindre par la passion l’élu se son cœur, Seiji, qui rêve de devenir luthier et est prêt à tous les sacrifices pour y parvenir. La romancière en herbe délaisse sa scolarité pour accoucher de cette œuvre et ne veut pas expliquer à ses parents ce qu’elle fait. Et alors qu’on s’attend à ce que ces derniers la recadrent fermement, ce qui semble logique face à une adolescente en brusque décrochage et qui refuse frontalement de dire à quoi elle passe ses journées et ses nuits, la réponse des parents est toute autre. Sentant la passion qui l’anime, son père donne sa bénédiction à Shizuku et lui demande simplement de reprendre le cours de ses études lorsqu’elle aura terminé cette chose qui semble lui tenir tant à cœur. On assiste tellement au cinéma à des scènes où les parents sapent les élans de leurs enfants ; en tant que thérapeute on entend tant de récits aux antipodes de cette scène, qu’une grande émotion m’a saisi en la visionnant. Cette bénédiction du père n’est pas un simple laisser-faire derrière lequel on pourrait soupçonner un laxisme de mauvais aloi. Il s’agit d’un geste qui témoigne au contraire d’une grande autorité, dans son sens premier, celui de rendre l’autre auteur (ici au sens propre qui plus est). Les parents autorisent Shizuku à devenir l’autrice qu’elle souhaite devenir, ils lui offrent de prendre la situation en responsabilité partagée et s’engagent en tant que parents à ne pas lui mettre d’entraves. Ils l’assurent de leur confiance et de la protection bienveillante de leur regard. Ils ne posent aucune condition, aucun marché. Un simple rappel : quand tu auras fini, tu reprendras le cours normal des choses. Combien d’entre nous ont pu bénéficier d’un tel soutien ? Combien d’entre nous ont-ils été, sont-ils ou seront-ils capables d’en faire bénéficier leurs propres enfants ? Ne serait-ce que pour la beauté de cette scène, on peut regarder Si tu tends l’oreille.

Souvenirs de Marnie, secrets et histoires de famille

souvenirs de Marnie, la quête des origines au coeur d'une étrange histoire d'amitié

Souvenirs de Marnie est également un film minimaliste, bien que nous plongeant dans des décors superbes. On y accompagne Anna, une jeune fille qui ne semble pas particulièrement à l’aise dans ses baskets et que sa mère adoptive envoie chez sa tante pour soigner son asthme. Dans ce nouveau lieu, Anna découvre une liberté encouragée par son oncle et sa tante qui, au contraire de sa mère adoptive, ne s’inquiètent pas pour elle du matin au soir et lui font découvrir un autre rapport parental, moins étouffant. Apprenant à respirer dans tous les sens du terme, Anna fait la rencontre de Marnie, mystérieuse jeune fille blonde qui l’entraîne dans son monde, à moins que ce ne soit l’inverse. Petit à petit, le transgénérationnel fait son apparition et on découvre que le mal être d’Anna, comme son manque de souffle, semblent être liés au secret de son histoire et de ses origines. A nouveau, j’ai été très ému par la juste distance et le regard avec lequel l’oncle et la tante d’Anna accompagnent sa quête. Dans ce film comme dans Si tu tends l’oreille, la présence d’une fonction parentale ajustée au côté de l’héroïne représente un solide appui, un strapontin vers la naissance d’une belle autonomie.

Rien d’anodin chez Ghibli

On pourrait parler des heures des films du studio Ghibli, des caractères trempés des personnages principaux, de la vision profondément humaniste de Miyazaki, de la musique, car comment faire un billet sur le studio Ghibli sans évoquer les bandes originales qui magnifient la plupart des films du studio. Les plus belles étant composées par Joe Hisaishi, qui signe également les BO de nombreux films d’un autre monstre sacré du cinéma japonais : Takeshi Kitano.

La découverte des univers du studio Ghibli apporte une vision tout à fait différente de celle de Disney et des autres studios américains. Ici, les méchants ne sont jamais tout à fait méchants, le bien et le mal sont souvent très nuancés, la morale est à construire par le spectateur, elle n’est pas surlignée en gras à l’écran. Au-delà de la beauté esthétique évidente, il y a une réelle portée éthique, philosophique, morale, tout ça servi sans cours magistral. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut que je m’arrête, mais non sans vous dire que je vous envie sincèrement si vous avez la chance de ne pas encore connaître Miyazaki et sa bande. La découverte est fascinante.

 

Pour aller plus loin :

Images du bandeau et de l’article : © studio Ghibli

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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)

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