Si j’avais suivi tous les conseils qu’on m’a donné depuis que je suis en âge de les comprendre, je serais sans doute déjà riche, célèbre et nagerais dans un bonheur d’une intensité indécente. Mais allez savoir pourquoi, j’en ai ignoré au moins les trois quarts ; j’ai tenté d’en suivre d’autres mais sans succès ; et j’en ai sans doute oublié certains, dont je me rendrai compte d’ici vingt ou trente ans qu’ils auraient pu changer le cours de ma vie. La question est donc la suivante : pourquoi la plupart des conseils et des prescriptions ne servent-ils à rien ?

Le soleil aura ma peau

Je suis né, c’est vrai, avec une peau qui se plaît nettement mieux au nord qu’au sud. Pourtant, même si je peux à l’occasion apprécier l’hiver, j’aime le soleil ; je préfère la chaleur et l’été. L’idée d’une balade en traîneau à Rovaniemi, si j’ai beau apprécier l’hospitalité finlandaise, ne fera jamais le poids face à la perspective de déguster un morceau de poulpe accompagné d’un ouzo du côté de Naxos.

Ainsi, je conserve un souvenir pénible du premier rendez-vous il y a quelques années avec ma dermatologue, et de son accueil lapidaire – à peine avais-je eu le temps de m’asseoir – sur ces mots : « bonjour, vous savez que quand on a une peau comme la vôtre, on ne s’expose pas au soleil ! ».
Plaît-il ?
J’étais confronté à toute la froide et inaccessible hauteur de l’expertise.

Durant tout l’entretien, je n’entendis que les mots ombre, indice 50 et éviter l’exposition. J’étais même privé d’épithètes et d’attributs qui eussent peut-être adouci les choses comme prolongée ou aux heures chaudes. Aucune question, ni sur mon rapport au soleil, ni sur mes habitudes, ni sur la manière dont j’avais miraculeusement survécu jusque-là. À entendre cette professionnelle de santé, je n’avais plus qu’à me résigner à aller dormir dans un cercueil durant les heures diurnes pour le restant de mes jours. Je ressortis assez abattu, et passablement agacé. Ou plus exactement, mon abattement se mua progressivement en colère : « non mais oh, de quoi j’me mêle ». Je pris évidemment la décision de ne pas me plier aux exigences du médecin, puisqu’il faut bien mourir de quelque chose, pourquoi pas d’un cancer de la peau, mais surtout je compris définitivement la relative inefficacité du conseil et de la prescription.

Car si je me place du côté médical, la question n’est pas tant de prouver au patient que je suis la réalité du danger du soleil sur ma peau, mais de savoir comment négocier avec ce patient pour qu’il choisisse d’adopter un compromis entre son désir et l’idéal à atteindre. En tant que patient, je ne me suis vu proposer que l’idéal, forcément inatteignable pour moi. Il est hors de question que je renonce au plaisir de m’exposer au soleil. Il est également hors de question que je ne sorte que tartiné de crème indice 50. En revanche, je peux entendre qu’il serait bon que je ne dépasse pas un certain temps d’exposition, que je choisisse mes heures, d’avoir un conseil sur un indice de crème qui me permette de bronzer légèrement tout de même (si si, je n’ai pas renoncé à ce fantasme). Bref, je suis prêt à négocier. Mais encore eut-il fallu pour cela que ma dermatologue accepte de prendre le temps de faire connaissance et de m’accorder un peu de relation.

Le carnet des bonnes pratiques

Autre expérience pour un même constat. Par le hasard d’un rendez-vous récent, je tombe au beau milieu de la présentation d’un consultant, en communication et marketing. Le public est composé de travailleurs indépendants qui souhaitent améliorer quelque chose : leur chiffre d’affaire, leur image, leur visibilité. Je m’assieds et assiste au discours de l’expert, avant d’être rapidement agacé par le déroulement de sa trame. Une par une, je vois défiler les bonnes pratiques, tout ce qu’il faut faire lorsqu’on est indépendant, les bonnes pratiques qu’on retrouve à longueur de fil sur Linkedin et dans les revues spécialisées. Je les connais d’autant mieux que je suis indépendant moi-même et que j’ai démarré mon activité de consultant en coaching en 2010. Ces recettes, en bon élève, j’ai essayé pour la plupart de les mettre en œuvre. J’insiste sur le mot « essayer » parce que j’en conserve surtout un sentiment de frustration et de culpabilité. Soit je ne parvenais pas au résultat escompté, soit je ne parvenais pas à faire ce qui était décrit.

L'éventail des bonnes pratiques en consulting

Les bonnes pratiques marketing du consultant indépendant (Gerd AltmannPixabay)

J’ai compris bien plus tard que si ça ne fonctionnait pas c’est avant tout parce que ces bonnes pratiques ne convenaient pas à tout le monde. Mais voilà le piège du conseil qui nous place face à une alternative : l’ignorer au mépris de celui qui nous l’a prodigué ou tenter de s’y conformer au risque de vouloir rentrer dans un moule pour lequel on n’a pas la forme requise.

Dans le premier cas, on risque de passer vis-à-vis du conseiller (parent, prof, entraîneur, coach, ami, collègue, etc.) pour un rebelle : « il se fiche de ce que je lui dis, il n’en fait qu’à sa tête », pour un ingrat : « je me tue à lui trouver une solution et il n’essaie même pas de la réaliser », ou bien pour un idiot : « je crois qu’il n’a même pas compris ce que j’essaie de lui expliquer ».
Dans le second cas, en voulant se conformer à ce qui n’est finalement souvent qu’une projection du désir de l’autre, on peut très vite se retrouver dans la position de l’incapable : « décidément même avec tous mes conseils il n’arrivera jamais à rien ». La même formule fonctionne aussi vis-à-vis de soi : « décidément je suis un cas incurable, même avec tous les meilleurs conseils je suis encore capable de me planter. »

Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Il fallait bien le placer à un moment ou à un autre. La littérature et le cinéma regorgent de situations, tragiques ou comiques, dans lesquelles un personnage tente de mettre en œuvre – sans succès – les conseils d’un second, que ce soit en amour ou en affaires. Les déroulements ne manquent pas d’être cocasses lorsque l’un des deux protagonistes s’enferme alors dans une situation de plus en plus catastrophique, où chaque conseil de son acolyte ne fera que faire empirer les choses. Le narrateur joue ici sur un fait bien réel : un conseil émis ex nihilo par une personne est rarement réalisable par quelqu’un d’autre qu’elle. Pour émettre un conseil qui soit autre chose qu’une simple projection, encore faut-il être capable de se mettre un tant soit peu à la place de son interlocuteur, d’éprouver ce qu’il vit. Car la pertinence du conseil ne représente qu’un faible pourcentage de la réussite de l’entreprise. Finalement, la vraie question est la suivante : l’autre peut-il s’approprier ce que je lui propose ? Est-ce adapté pour lui ? Est-ce que la mise en œuvre est compatible avec sa façon d’envisager le monde ? Généralement, ça n’est qu’après vérification de ces préalables qu’un coach ou un psy se laisseront aller à distiller un conseil pour leur client/patient.

le conseil, une activité exigeante et complexe

L’expertise est-elle soluble dans la vérité ? (mohamed HassanPixabay)

Les clients et les patients, cependant, viennent souvent consulter des coaches et des thérapeutes pour avoir des recettes, des astuces, des trucs qui les aideraient. C’est légitime, nous vivons dans une époque très polarisée en termes de problèmes et de solutions. La tolérance de chacun à l’espace qui sépare l’un de l’autre affiche une nette tendance à la baisse et il est parfois difficile de défendre l’idée que le conseil n’engage que celui qui l’énonce.

Il faut alors tenir ferme sur ses convictions, la mienne, qui se renforce de jour en jour, c’est que le meilleur conseil demeurera toujours celui qu’on a pu s’offrir à soi-même. Mais avant d’en être capable, il sera parfois utile de s’appuyer sur les conseils des autres. S’y appuyer, et non s’y perdre, à moins de vouloir à tout prix devenir un autre que soi-même.

Pour aller plus loin :

Difficile après tout ça de donner des conseils de lecture ! En voici tout de même deux :

  • Parmi tous les livres qu’on vous a conseillé depuis des années et que vous n’avez toujours pas lus, choisissez ceux que vous déciderez d’oublier définitivement et que vous ne lirez jamais.
  • Parmi la même liste, choisissez un livre et voyez si vous auriez éventuellement envie de le lire maintenant. Si oui, allez vous le procurer dans les plus brefs délais. Bonne lecture !
  • Ajoutez tout de même Bouvard et Pécuchet à votre liste, l’une des meilleures comédies du XIXe qui ridiculise l’expertise théorique, servie par un Flaubert magistral, qui ne pourra malheureusement pas l’achever.

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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)

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