Il m’est arrivé à plusieurs reprises de m’entendre dire la chose suivante : « psychothérapie relationnelle, c’est un pléonasme ». Et en l’occurrence, on pourrait le souhaiter, mais la réalité du marché psy est différente et si l’on peut – comme chez Molière – pratiquer la psychothérapie relationnelle sans le savoir, il ne suffit pas d’étiqueter relationnelle une pratique psychothérapique pour qu’elle le soit ou le devienne.
Ce courant psy récent mérite que nous nous y penchions de plus près. Or, voilà plus de deux ans que j’ai lancé ce site/blog et je me rends compte qu’en dehors de la présentation de mes activités de psychothérapie et de coaching, je n’ai pas encore écrit sur le sujet, alors qu’il s’agit du courant dans lequel je me reconnais et inscris ma pratique.

L’humain naît de la relation

De nombreuses expériences, des enfants sauvages aux bébés de Frédéric II, morts de n’avoir pas eu suffisamment de paroles, ont démontré que nous sommes des êtres de relation. L’école de Palo Alto, comme les théoriciens de l’attachement à la suite de John Bowlby, ont permis d’expliquer et de comprendre comment nous nous construisons en lien avec l’autre.
Donald W. Winnicott, lorsqu’il écrivait qu’un bébé n’existe pas, signifiait qu’il n’existe pas sans sa mère et qu’il ne peut être appréhendé que dans la relation à celle-ci. Puis, Perls, Goodman et quelques autres ont clamé qu’au lieu de s’intéresser à la personne, il serait peut-être utile de s’intéresser au lien entre la personne et son environnement, autrement dit et pour simplifier, à ses relations avec les autres. La naissance de la gestalt-thérapie et des thérapies humanistes, dites aussi nouvelles thérapies, émerge sur cet humus fertile de la créativité du lien.

Ici, le patient n’est plus seul, face – ou dos – à un analyste silencieux, image d’Épinal solidement attachée à notre profession, et qui ponctue chaque séance de quelques mmm mmm dispensés avec parcimonie ; il est avec le thérapeute et le thérapeute est avec lui.
Ici, ce n’est pas le psy qui soigne, c’est la relation.

La psychothérapie relationnelle concrètement

Loin de cette image historiquement datée du psychanalyste silencieux, par ailleurs de plus en plus rare, hormis chez quelques irréductibles lacaniens ayant sans doute mal digéré leur propre héritage, le thérapeute relationnel parle, dialogue, s’ouvre au patient. Mais surtout, il s’implique, communique ce qu’il ressent, ce qu’il vit au contact de l’autre ; il se livre dans la relation. Il touche et accepte d’être touché, au sens propre comme au sens figuré, partant de l’hypothèse que c’est dans la chaleur du lien relationnel qu’on peut soigner les blessures les plus anciennes.

Le diagnostic, c’est ici et maintenant

L’évolution de la psychiatrie contemporaine tend vers toujours plus de diagnostic. En psychothérapie relationnelle, s’il y avait un diagnostic à faire, ce serait ce qui se passe ici et maintenant dans la relation. Comment je me sens ? Qu’est-ce que cette relation me donne à vivre ? Pourquoi ai-je envie de pleurer depuis que cette patiente est entrée dans mon cabinet, alors qu’elle sourit pourtant sans discontinuer ? Pourquoi ai-je soudain des difficultés à respirer et un poids sur la poitrine quand celui-ci évoque son père ? Et que se passerait-il si je leur disais simplement ? À elle : « Je me sens triste depuis que vous êtes arrivée et je ne sais pas pourquoi, comment vous sentez-vous vous-même ? » À lui : « J’ai comme un poids qui m’empêche de respirer depuis quelques minutes, que ressentez-vous ? … Non, maintenant, que ressentez-vous maintenant ? »

La relation thérapeutique devient alors une partition à deux sans cesse réécrite, en mouvement, ce qui évite au praticien l’écueil d’une posture tenue à l’extérieur du lien à l’autre, où l’on distille ses projections par défense, pour ne pas ressentir ce que l’autre nous amène ; où l’on se cache derrière des notes prises pour se couper de ses émotions.l'abus de diagnostic nuit gravement à la santé du patient

Pour illustrer cet article, j’ai d’ailleurs longuement cherché une image de psy ne prenant pas de notes et n’en ai trouvé aucune, comme s’il était impossible de représenter notre métier autrement qu’à la manière d’un greffier de l’âme séparé du patient par son cahier, protégé derrière une peau-parchemin auxiliaire. Je ne suis pas en train de dire que je suis choqué par les psys qui prennent des notes, j’avance simplement l’idée qu’un thérapeute qui ne peut jamais poser son cahier pourrait bien être en train de se défendre contre une présence pleine en face de et avec l’autre.

Formation longue et impliquante nécessaire

A la lecture des lignes qui précèdent, il apparaît évident que pour être en relation avec le patient dans ce type d’ouverture, il est nécessaire en tant que thérapeute d’avoir fait un ménage correct dans son monde intérieur. C’est bien joli d’ouvrir les portes, encore faut-il faire en sorte que n’en sortent pas démons et fantômes en tout genre, sous peine d’envahir l’autre avec son propre matériel.
Il conviendra donc d’être allé voir pour soi là où personne d’autre ne peut aller à notre place, non pas dans l’espoir insensé de tout résoudre ou de tout guérir, mais dans celui d’avoir pu faire suffisamment connaissance avec l’insoluble et l’inguérissable pour qu’ils demeurent dans les limites franches que l’éthique relationnelle et la déontologie ont tracées. Pouvoir verser quelques larmes auprès d’un patient qui souffre, lui tenir la main ou le prendre dans ses bras n’est raisonnable et utile dans la psychothérapie qu’après avoir vérifié qu’on souffre bien avec lui, et que bien qu’il y ait nécessairement une résonance avec notre propre vécu, on ne risque pas d’envahir l’autre avec.

C’est donc par le biais d’une formation longue et impliquante que le praticien pourra s’assurer d’une relecture suffisamment étayée de son histoire, nul enseignement universitaire ne pouvant prétendre à enseigner ce qui s’apprend par l’expérience.

A partir de là, on pourra commencer à parler d’amour en psychothérapie, comme le fait Edmond Marc, d’un amour désaliéné qui permet à l’autre de grandir et de prendre sa place. Et nous de conclure avec les mots de l’auteur, parce que nous partageons sa conviction : en psychothérapie comme dans la vie, c’est la relation qui soigne, et c’est l’amour qui guérit.

 

Pour aller plus loin :

  • Nous disposons depuis peu d’un premier ouvrage sérieux sur la question : la psychothérapie relationnelle, par Yves Lefebvre et Philippe Grauer, que je recommande chaudement et qui a largement servi de base à cet article. Davantage adressé aux professionnels, il permet au praticien de définir et de raffermir son identité professionnelle dans le grand océan psychothérapique.
  • Second ouvrage paru chez Enrick B. et complémentaire du premier : Un amour qui guérit, d’Edmond Marc et Jenny Locatelli, où les auteurs nous racontent 5 psychothérapies relationnelles dans un style agréable et accessible qui permet à tout un chacun de comprendre de quoi il en retourne. Rien ne remplace l’exemple et les psychothérapeutes qui acceptent de raconter ce qu’ils font, et surtout ce qu’ils vivent à l’intérieur.
  • Cet article de Philippe Grauer sur le site du CIFPR donne les grandes lignes historico-conceptuelles de la psychothérapie relationnelle ; le sommaire du livre cité au-dessus en quelque sorte.
  • Ferenczi, Bowlby, Balint, Maslow, Perls, Rogers, plus récemment Yalom, en France Pagès, Marc, Fourcade, Grauer ; quelques noms à la volée de ceux qui ont contribué à l’émergence de la psychothérapie relationnelle.

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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)

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