Ce billet a été écrit à la veille de la sortie de l’épisode 8 de la saga, en décembre 2017. Deux ans plus tard, l’Ascension de Skywalker, l’épisode 9 de Star Wars, sort en salle alors que je le reprends. Il évoque le destin douloureux d’Anakin Skywalker, destin qui m’avait particulièrement ému lors de la sortie en salle de l’épisode 3 en 2005, la revanche des Sith.

Anakin Skywalker, anamnèse du patient

J’ai encore bien en tête le jour où j’ai vu ce film pour la première fois. J’étais ressorti furieux de la salle de cinéma, pestant sur l’ordre des Jedi, leur rigidité, leur intransigeance. Partageant mon sentiment avec les amis qui m’avaient accompagné ce jour-là, je ne rencontrai que peu d’écho. Et bien oui, Anakin Skywalker devient Dark Vador, on le savait depuis 1977, pas de quoi en faire une histoire.
Sauf que jusque-là, on ne savait pas encore pourquoi ni comment il avait basculé du côté obscur. La focale de la prélogie étant largement mise sur l’évolution d’Anakin depuis son enfance, jusqu’à la pose du fameux masque noir de Vador, on a pu mieux le comprendre. Petit rappel des faits :

Nous découvrons Anakin Skywalker lorsqu’il est enfant. Il n’a pas connu son père et a été élevé par sa mère dans une grande précarité sociale. Cette dernière, en incapacité de lui révéler ses origines, laisse planer un doute sur sa conception qui serait d’origine divine, hypothèse reprise d’ailleurs par les Jedi Obi-Wan Kenobi et Qui-Gon Jinn lorsqu’ils le rencontrent. Anakin serait l’élu, chargé de remettre l’équilibre dans la force. Ce doute quant à ses origines est un terreau fertile pour ses futurs problèmes liés au fait d’assumer sa filiation et son statut de père, ce qu’il parviendra néanmoins à faire avant de mourir. Car Anakin apparaît comme un résiliant ; le délire d’auto-engendrement dans lequel semble pris son environnement, à commencer par sa mère, aurait pu logiquement le conduire en aller simple vers la psychose.

Séparé précocement de sa mère pour la poursuite de ses études et plongé dans un cadre éducatif rigide, Anakin devient un jeune homme impulsif et rebelle, maîtrisant difficilement ses débordements émotionnels. L’exemple du massacre des Tuskens à la mort de sa mère est symptomatique de ces moments où Anakin est envahi par des sentiments de haine et de violence et où il bascule dans des passages à l’acte pour le moins radicaux. C’est principalement sur cette fragilité que son futur mentor prendra appui pour le manipuler ensuite.

Chargé de protéger la princesse Padmé Amidala qu’il a rencontré enfant et sur laquelle Anakin a vraisemblablement déplacé l’amour qu’il n’était plus en capacité de porter à sa mère du fait de la séparation traumatique qui l’avait éloigné d’elle, il séduit celle-ci. Nouveau passage à l’acte vers une relation dans laquelle Padmé a tout du substitut maternel, ce qui n’augure généralement pas du meilleur avenir. Transie de chagrin à l’idée qu’Anakin puisse avoir embrassé le côté obscur de la force, Padmé décèdera à la naissance de leurs jumeaux, fournissant l’événement qui permettra d’ancrer définitivement la personnalité d’Anakin du côté du mal.
Mais avant cela, il aura eu à faire face à l’intransigeance de l’ordre Jedi, incapable de renoncer à l’image de l’enfant idéal que ses membres avaient fantasmé à son égard. Les Jedi n’auront de cesse que de tenter de ramener Anakin à cette image d’enfant parfait, le plaçant face à un modèle inatteignable à propos duquel il ne lui aura jamais été demandé son avis. Cette conduite parentale malheureusement courante place l’enfant face à une alternative qu’on pourrait désigner comme perdant-perdant : réussir pour plaire à ses parents au risque de ne jamais pouvoir devenir lui-même, ou les décevoir pour tenter d’exister en tant qu’individu.

Anakin sera donc passé d’un environnement maternel déficient à un environnement paternel tyrannique, dans lequel on répond à sa demande d’amour et d’attention par des reproches et des rappels à l’ordre constants. La double peine en quelque sorte.
De nombreux facteurs concordent vers l’échec devenu inévitable de la formation d’Anakin, comme le trop jeune âge sans doute du maître chargé de sa formation. Obi-Wan sera devenu beaucoup plus compréhensif et plus sage auprès de Luke quelques années plus tard, mais il ne prend Anakin comme padawan que parce que son propre maître Qwi-Gonn décède prématurément au cours d’une mauvaise rencontre, occasionnant sans doute le combat de sabre laser le plus spectaculaire de la saga. La fragilité psychique d’Anakin est également un facteur prédominant, comme lorsqu’il noue des liens de dépendance et ne supporte pas que ses objets d’amour (Obi-Wan et son épouse) ne correspondent pas à ce qu’il projette sur eux, autrement dit lorsqu’ils n’incarnent pas la bonne mère qui lui a manqué. Bref, il y avait de fortes chances pour que cela se termine mal.

L’ordre des Jedi pas très fins

Carences affectives précoces, conduites à risque, incapacité de contenance et de régulation des pulsions, relations de dépendance affective (anaclitique), Anakin présente un joli tableau clinique de personnalité-limite. Quel dommage qu’avec toute leur prétendue sagesse, les Jedi se soient montrés incapables de le prendre en compte dans ses différentes et ses fragilités. Tout au long des différentes réunions du conseil, ou des conversations avec Obi-Wan, on découvre un environnement excessivement surmoïque, comme le sont la plupart des sectes et des religions : la règle, c’est la règle, il n’y a pas d’exception et chacun doit s’y conformer.

La rigidité des jedi a-t-elle joué un rôle dans le basculement d'Anakin du côté obscur ?

by Eric & Niklas on Unsplash

À défaut de trouver la compréhension et l’empathie dont il a besoin au sein de sa propre famille, Anakin se tourne finalement vers celui qui lui offre enfin sa place tel qu’il est : Palpatine. Et jusqu’au bout, Obi-Wan passera à côté de sa demande d’amour.

Lorsque après avoir tranché les deux jambes d’Anakin, il lui dit dans un ultime reproche : « tu étais l’élu ! » (you were the chosen one), Anakin lui répond : « I hate you ! ».
Mais il aurait tout aussi bien pu lui dire : « je voulais juste que tu m’aimes ».

Manque d’amour et psychothérapie relationnelle

Avec des personnalités présentant des fragilités affectives comme Anakin, la nécessité d’un psychothérapeute qui laisse la place au dialogue et à un véritable lien émotionnel est primordiale. Le silence de l’analyste risquerait de réactiver les failles narcissiques du patient qui se sentirait une nouvelle fois seul, seul face à ses peurs et ses chagrins d’enfant. Anakin, en psychothérapie, aurait pu formuler cette demande d’amour authentique et sincère qu’il n’a jamais reçu ailleurs. Être entendu dans cette demande lui aurait peut-être donné les ressources nécessaires pour faire face à ses responsabilités en tant que maître Jedi, et lui aurait permis de trouver le soutien et la sécurité affective suffisante pour être capable de déceler la perversité des Sith, au lieu de tomber sous emprise.

Au-delà de la fascination qu’a pu exercer le personnage de Vador sur moi, comme sur la plupart des enfants qui ont grandi avec Star Wars, je suis triste pour Anakin, triste pour cette rencontre qui n’a pu se faire qu’au seuil de la mort, lorsque Luke retire le masque de Vador. Puisse la force être avec son fils, pour qu’enfin il connaisse la paix qu’il a tant recherché à travers son destin de violence.

Pour aller plus loin

  • Un amour qui guérit d’Edmond Marc et Jenny Locatelli, ou comment réunir – en un livre deux 200 pages à peine – des cas cliniques émouvants et un résumé théorique concis et percutant de ce qu’est aujourd’hui la psychothérapie relationnelle.
  • Les patients-limites, l’ouvrage de référence de Jean-Michel Fourcade sur les personnalités-limite ou borderline. Formidable travail de synthèse élaboré à partir des travaux de Jean Bergeret et de Max Pagès.
  • Je suis loin d’être le premier à être tenté par l’analyse des personnages de Star Wars. Et je n’ai pas lu cet ouvrage, ni ce travail universitaire (à qui j’ai emprunté la belle photo de couverture de cet article) qui semblent tous deux placer nettement Anakin du côté de la psychose. Le débat est ouvert !

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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)

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