Peur, n.f. La vaincre à tout prix.

Voilà la définition que Flaubert aurait pu nous livrer dans son dictionnaire des idées reçues, version 21e siècle. Et s’il est riche de travailler sur ses peurs, comme on l’entend souvent dans le jargon psychothérapique, il convient cependant de replacer les choses : avant d’être une entrave, la peur nous protège. Outre le fait qu’elle nous empêche de faire un paquet de bêtises, elle est essentielle à la survie.

Fear-free

Nul besoin d’être titulaire d’une thèse d’éthologie pour observer le rôle de la peur dans le monde animal. Face au danger, l’animal éprouve la peur, ce qui l’amène à la réponse combat-fuite, théorisée par Cannon. Nous-mêmes, lorsque nous nous sentons menacés, sommes animés par ce même processus. Et comme pour la plupart des mammifères, la sensation de danger émane bien sûr de la situation présente, mais elle peut provenir également du souvenir ancré dans le corps d’un danger du passé. On parle alors de réminiscence traumatique. Auquel cas, ça n’est pas tant de la situation présente, dont nous avons peur, que de la situation passée qui ressurgit dans le présent. Par exemple, une personne qui a subi des mauvais traitements dans son enfance pourra éprouver une peur immense et paralysante dans toute situation où elle se trouvera face à de l’agressivité, là où une autre, n’ayant pas subi ces maltraitances ne sera pas inquiétée.

Il y aurait donc des peurs plus objectives que d’autres. Et celles-ci sont nécessaires, constitutives de notre relation au monde. Les ignorer reviendrait à nier une partie de soi-même. Bien sûr, dans cette époque où le contrôle de soi-même apparaît comme l’étalon de la valeur intrinsèque d’un individu, ces peurs contribuent à nous donner une image très négative de nous-mêmes. Ainsi, je rencontre parfois des personnes prises dans de grands bouleversements de vie : réorientation professionnelle concomitante avec une séparation par exemple, et qui s’en veulent terriblement d’éprouver la peur qui les étreint. Compte tenu, de plus, du contexte sanitaire générateur d’anxiété, il semble au contraire tout à fait normal et sain d’éprouver cette appréhension. Ce que nous regarderons ensemble de plus près, c’est l’endroit où la peur pourrait devenir ankylosante, à la manière d’un syndrome de la cabane. Mais la faire disparaître à tout prix pourrait conduire à des prises de risque inconsidérées. Nous observerons également ensemble ce qu’indique cette peur, ici peut-être signifie-t-elle que dans cette période de bouleversement, cette personne aurait tout intérêt à prendre soin d’elle-même, de se reposer au lieu de se précipiter. Pour pouvoir rebondir, terme à la mode, encore faut-il pouvoir éprouver le fait de toucher le sol.

Arlo, vaincre sa peur

Dans The Good dinosaur, Le Voyage d’Arlo en français, Arlo, petit dinosaure, apparaît comme un enfant apeuré face à la violence et à la dureté du monde extérieur auquel il semble moins adapté que ses frères et sœurs. Devant son incapacité à s’acquitter des tâches courantes (il faut avoir grandi en campagne pour être sensible à ce quotidien), comme nourrir les monstrueuses poules préhistoriques qui le terrorisent ou piéger le petit animal qui vole dans les récoltes de maïs, ses parents s’inquiètent de son avenir et son père tente de l’aider à vaincre ses peurs de diverses manières, pas nécessairement très finaudes et qui reviennent à lutter par le mal contre le mal. On comprend d’ailleurs les parents d’Arlo, qui évoluent dans un environnement dangereux : herbivores entourés de prédateurs, une protection maladie très insuffisante et une justice expéditive, généralement en faveur du plus fort. La préhistoire n’était pas de tout repos.

Mais Arlo demeure trop sensible. Il fuit devant les monstro-poules et laisse s’échapper sans le tuer le voleur de maïs, qui s’avère être un petit préhisto-humain, qui deviendra son futur compagnon de route. Furieux, le père d’Arlo part à la poursuite du petit d’homme au mépris de l’orage qui gronde et meurt, emporté par un torrent. Outre le fait qu’Arlo aura désormais ses peurs à surmonter, mais également sa culpabilité vis-à-vis de la mort de son père, on peut observer que ce dernier, au lieu de fustiger la pleutrerie de son fils, aurait pu sauver sa vie s’il avait eu… davantage peur.

Bayard, chevalier sans peur

Surnommé sans peur et sans reproche par le camarade qui fit le récit de ses aventures, le chevalier Bayard mourut sur le champ de bataille à 49 ans, un âge bien avancé au 16e siècle pour traîner encore ses guêtres au combat. Il ne se maria point et s’il eut bien une fille, on peut faire l’hypothèse en lisant sa biographie qu’il ne vivait probablement que pour la guerre. Il est plus aisé de n’avoir peur de rien quand on ne se connaît rien à perdre. Comparé à Arlo, Bayard se situe à l’autre extrémité du spectre. Il ignore la peur, ce qui le conduit à se mettre en permanence en danger. Peut-être est-ce pour lui la seule façon de se sentir vivre, on reconnaît ici l’insatiable besoin de sensations fortes des personnalités borderline.

Aux deux extrémités du spectre de la peur

On le voit dans ces deux exemples, courage et inconscience se côtoient de près. Vaut-il mieux n’avoir aucune peur qu’être paralysé par celle-ci, rien n’est moins sûr. Dans les deux cas, c’est le déséquilibre qui attire notre attention entre un souci de la préservation de soi qui fait défaut et une incapacité à aller au-devant des incertitudes du monde. On pourrait échafauder un lien avec l’expression de l’agressivité, qui semble trop présente dans un cas et absente dans l’autre. Le peureux ne peut se confronter, là où le sans-peur semble ne vivre que dans le défi.

Au milieu on trouve une intégration raisonnable de la peur, qui nous indique le danger, mais également nos fragilités et nos blessures passées. Comme souvent, c’est dans l’excès que réside la pathologie ; la santé mentale consistant à être un peu de tout au bon moment.

L’excitation, corollaire de la peur

Une patiente évoquait récemment en séance le futur oral d’un examen qu’elle prépare actuellement. Elle avait peur, un tel exercice n’est jamais anodin puisqu’il représente non seulement l’épreuve face au jury, mais également le passage vers une autre étape de vie (le début de la vie professionnelle par exemple). Elle ressentait également autre chose, cette excitation qui accompagne la peur dans les moments importants, que les compétiteurs sportifs, par exemple, connaissent si bien. L’équilibre des deux paraissait suffisamment stable, elle avait simplement besoin de pouvoir dire qu’elle avait peur et de se rendre compte, en parlant avec moi, que le niveau de sa peur paraissait ajusté à la situation. Il n’y avait ni phobie, ni empêchement. Elle arrivera probablement dans la salle d’examen avec les mains moites et le souffle un peu court, mais je suis assez certain que ça ne l’empêchera pas de réaliser une prestation méritoire et suffisante pour réussir.

Comme elle, je ne souhaite pas bannir mes peurs de l’espace psychique, elles m’indiquent les dangers de ce monde, mais également les endroits où j’ai été en danger. Si vous pouvez sentir vos peurs, cela prouve que vous avez survécu.

Pour aller plus loin :

 

Image du bandeau : Free-PhotosPixabay

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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)

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