Pris dans l’écriture d’un article sur la formation, voici quelques réflexions qui n’y trouveront pas leur place, mais qu’il me peinerait de ne pas proposer tout de même à la lecture…
Loi Accoyer, 15 ans après
Lorsqu’on veut exercer la psychothérapie, deux voies principales s’ouvrent. La première est celle de l’université et du cursus de psychologue clinicien, validé par un master. L’autre consiste à se former dans une école privée, qui conduisait autrefois au titre de psychothérapeute, avant qu’il ne soit confisqué par l’État en 2010, au profit de l’université et au mépris de toute une profession. La dite profession se replia alors sur le titre de psychopraticien, aujourd’hui critiqué à juste titre car moins bien tenu et régulé que ne l’était celui de psychothérapeute. L’État est donc parvenu – comme souvent – à l’effet contraire de celui désiré (ou tout au moins affiché), en affaiblissant considérablement une profession qui n’a plus les moyens de contrôler les hordes de psychopraticiens formés en 1 ou 2 ans dans des cursus douteux, en majorité en ligne. On attend sans grande impatience le prochain coup de fourches caudines qui renforcera encore le sentiment de clandestinité et de résistance dans lequel nous continuons malgré tout d’exercer.
Nous constatons en effet chaque jour comme la Loi sur le titre de psychothérapeute a considérablement affaibli la profession. Ces dernières années, des écoles de formation sérieuses et réputées ont été ou sont encore en grande difficulté financière. Certaines ont fermé. Le système institutionnel est déserté. Le titre de psychopraticien est un échec relatif, sinon ontologique, au moins commercial.
En parallèle, des écoles proposant des formations professionnalisantes, qui en 6 mois, qui en 9, souvent en e-learning, tirent leur épingle du jeu et lancent sur le marché des centaines de praticiens, dont les illusions s’écrouleront aussi vite qu’elles sont nées. Sur le terrain, et tous bords confondus, le niveau des thérapeutes hors cadre règlementé diminue.
Les effets pervers des lois de protection de l’usager
Les conséquences à moyen terme semblent prévisibles. L’État, ne manquant pas de constater la baisse de niveau chez les praticiens hors cadre, fera comme il en a la coutume : il accentuera les restrictions, ici celles permettant l’accès à la profession de thérapeute. Alors que c’est lui – par l’entremise de la loi de 2010 – qui a provoqué cette baisse, il s’en servira pour justifier une nouvelle surenchère législative. En effet, lorsque le remède législatif accentue le mal, il est de coutume en France de le renforcer, rappelant le fameux toujours plus de la même chose cher à Palo Alto. Et puisque la première loi n’a pas suffi, il en faudra nécessairement une deuxième. Pratiquer la psychothérapie sera alors plus difficile. Mais nous n’en sommes pas encore là, profitons des brindilles de liberté à notre disposition, tant qu’il est encore temps.
Mais alors, comment et où se forment les thérapeutes aujourd’hui ? et où mènent tous ces cursus courts qui fleurissent – souvent à distance – depuis une dizaine d’années ?
De l’errance thérapeutique à l’errance formative
Dans le milieu, nous connaissons bien l’errance thérapeutique, attribuée à ces patients que l’on rencontre parfois dans nos cabinets – brièvement pour la plupart – et qui nous content leur vie, émaillée d’un parcours de soin qui a l’allure d’une liste à la Perec : ils ont fait de la méditation, de l’acupuncture, de la sophrologie, de la psychanalyse (un peu), du coaching, bien sûr, vu une kinésiologue, écouté un ostéopathe leur parler de leurs somatisations, changé de régime alimentaire à plusieurs reprises, de conjoint(e) itou. Bien sûr, rien n’a changé ou presque, mais ils savent très bien expliquer désormais pourquoi ils ne vont pas bien. Ils viennent nous voir pour accrocher une nouvelle fois leurs illusions. Nous représentons la dernière chance avant que les dites illusions ne se fracassent une fois encore au mur de l’existence. Et puisque nous échouerons immanquablement à les sauver, ils iront voir ailleurs, au prochain cabinet de spécialiste.
Ce qui apparaît comme nouveau en revanche, c’est la transposition de cette problématique dans une dimension de professionnalisation. Le patient erratique deviendrait un professionnel erratique ; d’éternel patient, il serait désormais un éternel étudiant à la recherche de la formation qui lui permettra d’aider les autres, ou de s’aider soi-même. Je rencontre ainsi Bianca, qui s’est installée comme thérapeute et possède un parcours qui ressemble de manière troublante à celui décrit ci-dessus : elle a fait un an d’art-thérapie, une formation en respiration holotropique, une autre en hypnose ; elle déplie la liste des techniques et des outils qu’elle prétend maîtriser comme on vante le catalogue de soins d’un institut de spa. Il lui manque cependant quelque chose d’important : depuis deux ans qu’elle exerce en libéral, Bianca n’a aucun patient. En creusant un peu, je comprends qu’aucune des formations suivies par Bianca n’a duré plus d’une année. Et quand je l’interroge sur son parcours thérapeutique personnel, je découvre qu’il est à l’image de sa formation : parcellaire, éclectique, insuffisant.
Bianca n’est pas une exception. Je rencontre régulièrement des thérapeutes sans patients, qui cumulent parfois plus de cinq années de formation, mais sans que l’on puisse déceler une cohérence, une structure, sur laquelle asseoir leur pratique. De mon côté, je constate tous les jours ce que répétaient mes formateurs : une formation longue et impliquante, ainsi qu’un travail thérapeutique personnel approfondi, représentent les deux jambes sur lesquelles le professionnel tient debout. Et puisque les termes « approfondi » et « longue » ne témoignent pas la précision que nécessite la critique, je peux avancer des chiffres. Une formation de moins de cinq ans d’un seul tenant est insuffisante. Quant à la durée de la psychothérapie ou de la psychanalyse, cette durée sera aisément multipliée par deux, pouvant être effectuée par tranches, et son achèvement n’étant pas nécessairement préliminaire à la pratique.
Écoles et université, deux démarches différentes et complémentaires
Lorsqu’on veut exercer la psychothérapie, deux voies principales s’ouvrent. La première est celle de l’université et du cursus de psychologue clinicien, validé par un master. L’autre consiste à se former dans une école privée, délivrant le titre de psychopraticien. Afin de comparer ce qui est comparable et si l’on ne conserve que les écoles qui parviennent à maintenir un cursus long (5 années minimum) et impliquant (formation par l’expérience, en présence et non pas à distance), on arrive à la conclusion que ces deux voies sont très éloignées, et pourtant complémentaires. L’université de psychologie est un cursus initial en grande majorité, là où les écoles intéressent une population en reconversion. L’université délivre un enseignement, transmet du savoir ; l’école privée délivre une formation, permet d’acquérir des compétences.
Si l’on caricature la situation à outrance et de façon volontairement provocatrice, nous pourrions dire qu’un psychologue clinicien fraîchement issu de l’université est un technicien savant, mais incompétent, là où le psychopraticien débutant, issu d’une école privée, est un ouvrier habile, mais inculte.
S’ils souhaitent améliorer leur qualité d’intervention, les ressortissants de ces deux parcours opposés auront besoin d’un complément à leur cursus initial. L’un vers davantage de pratique et l’autre vers davantage de théorie. C’est ainsi que de nombreux psychologues, éprouvant leur manque sur le terrain, suivent au cours de leur carrière des formations à la psychothérapie délivrées par des organismes privés, et que les psychopraticiens continuent de lire, d’aller à des conférences et suivent pour certains des enseignements universitaires afin d’acquérir le savoir qui leur manque. Cette conscience de l’incomplétude n’est malheureusement pas suffisamment partagée et nombre d’individus issus des deux camps se contente de regarder ceux d’en face avec mépris et condescendance.
Enfin, pour avoir la chance de côtoyer quelques psychothérapeutes qui ont eu la volonté et l’engagement suffisant dans la profession pour cumuler les deux cursus, soit 5 ans d’université et 5 ans d’école, j’ai pu constater sans grande surprise que le jeu en valait la chandelle. Ils sont devenus des professionnels accomplis et inspirants, cumulant l’exigence du savoir universitaire et la sensibilité clinique de la formation expérientielle. Mais qui peut investir dix ans de sa vie dans notre époque où tout doit aller si vite ! Pourtant, il faudrait.
Pour aller plus loin :
- On trouvera de nombreux items sur la bataille des charlatans et le titre de psychothérapeute sur le site du CIFPR, dans le glossaire de Philippe Grauer.
Image du bandeau : Gerd Altmann – Pixabay
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Pascal Aubrit, psychothérapie et coaching à Auvers-sur-Oise (95)
Directeur pédagogique du CIFPR
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SIX Gérard
Toujours aussi pointu (même sans épée) mon cher Pascal
Six(mund)