Cabinet de Psychothérapie et de Coaching à Auvers-sur-Oise (95)

la relation maître-élève

Maître-élève, une relation compliquée

Un jour ou l’autre, il fallait bien que je me confronte aux gros mots de la psy. Ne pas parler du transfert alors qu’on écrit sur le point de vue de l’entraîneur, et qu’on est psy par-dessus le marché, c’est un peu comme de faire de l’escrime avec des sabres en mousse ; à un moment ou un autre ça a ses limites. Cela étant, si j’étais gestalt-thérapeute j’y parviendrais très bien, puisque la théorie de la gestalt-thérapie ne parle pas de transfert, mais utilise d’autres concepts et d’autres références. Enfin tout de même. Gestaltiste ou non, lorsqu’on est entraîneur, éducateur, enseignant, formateur, bref dès lors qu’on assure un lien de transmission, et a fortiori lorsqu’on travaille avec des enfants et des adolescents, on se rend compte tôt ou tard que celles et ceux à qui l’on transmet ont parfois une tendance persistante à nous prendre pour quelqu’un d’autre.

Transfert, le coup droit du psy

Écrire sur le transfert lorsqu’on est psychopraticien, psychanalyste, psychothérapeute, cela revient à écrire un traité sur le coup droit lorsqu’on est maître d’armes. Tout a déjà été dit, mille fois mieux que ce que vous vous apprêtez à faire. L’ombre des anciens plane (mon dieu, Freud me regarde !), leur expertise tétanise la pensée (mais comment écrire quelque chose de plus limpide que ce qu’a pu en dire le maître Raoul Cléry ?), et pourtant il faut bien agresser l’histoire pour la digérer, se l’approprier, construire.

Alors allons-y : le transfert est avant tout une relation entre deux personnes, relation au sein de laquelle l’un ou l’une des deux protagonistes, voire les deux, prend l’autre pour une troisième (vous me suivez toujours ?). L’exemple freudien princeps, c’est le/la patient(e) qui prend son/sa psychanalyste pour son père ou sa mère et qui, en tombant amoureux(se) de l’analyste, reproduit en fait dans la relation thérapeutique le lien œdipien qu’il/elle n’a pas été en mesure de dénouer enfant. On pourrait dire que le transfert sert à ça : à poursuivre l’espoir que quelque chose qui n’a pas été solutionné dans une relation antérieure puisse l’être dans le présent avec cette autre personne qui me rappelle tant la première.

Mais le transfert n’est pas réservé au cabinet du psy. Et d’ailleurs, lorsqu’un transfert s’établit entre mon psy et moi, je ne le prends pas réellement pour mon père, sinon ce serait délirant, mais il y a probablement un endroit où mon psy me rappelle quelqu’un et me le rappelle tant et si bien que je me mets à me comporter avec lui comme si j’étais en face de l’autre. À bien y réfléchir, ce doit être cette moustache, cette tranquillité solide et cet humour à froid si particulier ; bon sang mais c’est bien sûr, mon psy me rappelle mon grand oncle dont j’appréciais tant la présence quand j’avais huit ans.

Autant dire qu’à ce compte-là, on établit des transferts tout le temps et avec tout le monde. Dans chaque couple, il y a des zones où l’autre nous rappelle l’un de nos parents, dans chaque groupe il y a au moins une personne qui nous provoque des sentiments particuliers dès qu’on l’approche. C’est souvent ce qui est à l’œuvre lorsque je me dis que « celle-là, c’est physique, je ne peux pas la sentir ».

L’envahissement par l’autre signe souvent un transfert à l’œuvre, que ce soit dans sa polarité négative : « quel salaud celui-là, ça se voit tout de suite sur son visage ! » ; ou positive : « d’emblée je l’ai trouvée sympa, elle dégage quelque chose qui m’apaise, je ne sais pas l’expliquer ». Rien de pathologique là-dedans, juste du lien, un lien certes un peu trouble parfois, mais qu’on peut toujours mettre au travail pour comprendre et sentir ce qui est troublé.

Quand les enfants transfèrent

Évidemment, les enfants transfèrent comme les autres. Plus facilement peut-être, puisqu’ils se trouvent encore pour un temps en dehors des barrières du quant à soi et de la répression de leurs sentiments au nom d’un self control plus adulte. On peut observer ce transfert en tant qu’éducateur, notamment lorsqu’un enfant enfreint une règle juste sous notre nez, puis nous regarde avec les yeux emplis d’amours lorsqu’on le lui fait sévèrement remarquer, voire lorsqu’on le punit. Celui-là vient peut-être chercher dans le transfert avec nous l’autorité et le cadre qui manquent à la maison. Quant à cette petite fille qui se jette dans vos bras pour vous embrasser à la fin d’une séance, il est peu probable qu’elle agisse ainsi avec tout le monde. Peut-être lui rappelez-vous simplement son papa ou une autre figure d’attachement. Et si elle vous touche particulièrement par sa spontanéité, il n’est pas totalement improbable que vous lui enviez cette capacité à sauter dans les bras d’une personne avec qui vous seriez en lien. Seulement, et c’est pour cela que j’évoquais le self control dont les enfants sont relativement protégés, quand on est adulte on ne saute pas ainsi au cou des gens. Dommage, on en aurait pourtant parfois bien besoin. C’est pour cela que la thérapie de groupe est aussi déterminante dans la reconstruction du lien affectif, parce qu’elle offre un espace où cette possibilité de se laisser aller à nos gestes et mouvements d’enfant fait jour à nouveau. Fin de la digression, revenons à nos transferts.

Transfert et adolescence

L’adolescence est une période durant laquelle l’entraîneur est souvent surinvesti par ses élèves, en perte de repères, parfois en conflit avec leurs propres parents, et qui viennent chercher en lui un point fixe sur lequel s’appuyer le temps de cette traversée si particulière. Au-delà de sa personne, c’est parfois le club de sport ou la salle d’armes elle-même qui sont investis par les jeunes qu’on voit soudain débarquer une heure avant leur cours, repartir une heure après, voire les deux. Un syndrome bien connu dans les centres équestres où certains adolescents semblent réellement avoir trouvé un second foyer ; j’aimerais d’ailleurs beaucoup lire un jour le témoignage de cavaliers et cavalières sur le sujet.

Plus proche qu’un parent

Il y a une quinzaine d’années, j’ai goûté pendant quelques saisons sportives au quotidien de l’entraîneur passionné et investi que connaissent bien nombre de mes collègues dans toutes les disciplines. Cela se résume assez simplement ainsi : entraînements tous les soirs, compétitions tous les weekends. Je me suis fait la réflexion à l’époque que si je comptabilisais le nombre d’heures passées avec certains de mes élèves, j’arrivais à un total plus important que celui atteint par leurs propres parents. Qui plus est, loin du quotidien, nous vivions ensemble les émotions fortes de la compétition, les joies, les larmes, et tout cela à un âge où, je le rappelais ci-dessus, les figures d’autorité extérieures à la famille jouent un rôle prépondérant dans le développement.

A l’époque, le fait de me sentir investi par mes élèves bien au-delà de ce que j’imaginais comme normal m’a placé dans une position inconfortable ; je ne savais pas bien quoi faire avec ça. D’une part, je me rendais compte que j’occupais une place importante dans leur vie et eux dans la mienne ; dit autrement : la relation que nous entretenions occupait une place importante dans nos vies respectives. D’autre part, je ne me rappelais pas l’once d’un cours, d’un discours, ne serait-ce que d’une phrase durant mon cursus de formation qui m’aurait permis de mettre des mots sur l’expérience que je vivais. En discutant avec mes collègues, je me heurtais au déni : « je ne vois pas de quoi tu parles », ou bien à la rationalisation et à la minimisation : « tu exagères, après tout nous ne sommes que maîtres d’armes ». En clair, comme je l’ai décrit dans ce précédent article, face à un environnement de blindés de combat, je me retrouvais moi à la place de l’éponge, ne sachant faire autre chose sinon être envahi. Qui plus est, je commençais à trouver louche certaines relations maître-élève, qui me faisaient penser à de l’abus de position dominante. L’effet Pygmalion ça va cinq minutes, mais il y a un seuil au-delà duquel on peut aussi parler d’emprise.

Déontologie et supervision

Lorsqu’en désespoir de cause je parlai de tout ça à un psy, il me mit sous le nez un code de déontologie comme celui-ci. Je découvris alors que si la question n’était pas posée dans ma discipline, elle l’avait été dans d’autres professions, et ce depuis longtemps. Ailleurs, il existait donc des règles.
Bien sûr, la déontologie n’a pas vocation à répondre à tous les émois du thérapeute pris dans les relations transférentielles avec ses patients, mais le triptyque déontologie – supervision – thérapie personnelle fournit au moins un bon contenant et une réponse adaptée. De quoi disposons-nous en tant qu’éducateurs sportifs (tout comme les enseignants) en terme de cadre, d’outils, de formation, d’éthique ?

Petit à petit, la supervision, l’analyse de pratiques et autres processus de régulation relationnelle s’immiscent dans les professions où le face à face avec le public est omniprésent. On peut s’en réjouir, même si cette démarche franchit encore rarement la barrière des professions médicales et paramédicales. Mais on est encore loin du compte et j’aspire pour ma part à une société dans laquelle chaque professionnel travaillant avec du public disposerait d’un cadre de travail comme celui-ci. En dehors d’une réduction drastique des passages à l’acte en tout genre, chacun y trouverait un appui pour apprendre à travailler dans une meilleure sécurité relationnelle. C’est à construire.

Pour aller plus loin :

  • Une nouvelle fois, je ne saurais que trop conseiller l’acquisition de l’ouvrage de Claire Carrier : le champion, sa vie, sa mort, psychanalyse de l’exploit. Lorsque je l’ai lu pour la première fois, je m’intéressais certes aux choses psy, mais n’en étais alors pas encore parvenu à l’embryon de l’idée que je pourrais en devenir un plus tard. Ce livre m’a aidé en tant que jeune entraîneur à démêler des écheveaux qui me semblaient alors gordiens.
  • Mensonges sur le divan, l’excellent roman d’Irvin Yalom, montre bien la porosité des frontières entre la sphère personnelle et la sphère privée, jouissif, addictif, un thriller qui se dévore.

 

Image du bandeau : Lubomir Atanassov
Illustrations : avec l’aimable autorisation de Martin Singer

______________________

Le Bruit des lames - Pascal Aubrit - livre escrime

Le Bruit des lames, récit de terrain d’un jeune maître d’armes, est sorti le 1/9/2020.
Tous les détails et les différentes possibilités pour se le procurer : https://desanglades.fr/

 

___________________

Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)

Pour vous abonner aux notifications de ce blog (1 article par mois), entrez votre adresse email sur le formulaire sur la droite de cette page.

Précédent

Blindé de combat ou éponge, l’analyse de pratiques comme processus de régulation

Suivant

A star is born, l’amour impossible

  1. six

    Peux t on transférer ?
    Toujours très bien écrit et très intéressant même si parfois mes connaissances et ma compréhension sont mis à l’épreuve : mon deug de psycho et ma maîtrise d’armes ne me permettent pas de tout maîtriser !
    mais comme d’habitude tu touches à des problèmes fondamentaux de la relation maître – élèves
    merci et grand salut des armes (intellectuelles et spirituelles)
    Gérard Six

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén