Cabinet de Psychothérapie et de Coaching à Auvers-sur-Oise (95)

Les plus beaux sabotages en compétition d’escrime 2/2

L’escrimeur en compétition est parfois victime de ce que les magazines et le vocabulaire spécialisé intitulent la compulsion d’échec, ou encore le sabotage inconscient. Dans le précédent article, nous avons commencé à recenser les meilleurs scénarios de sabotages en compétition. Poursuivons notre palmarès et cette fois pas de jaloux, il y en aura pour tout le monde, tireurs, arbitres et entraîneurs :).

Sabotage 4 :  jusqu’ici tout allait pourtant bien

Le scénario : Un assaut en quinze touches qui se termine au couperet, c’est trente à cinquante phrases d’armes, trente à cinquante décisions, autant de chances de commettre des erreurs. Voilà pourquoi la fonction d’arbitre pourrait être ajoutée sur la liste des métiers impossibles dressée par Freud, en particulier aux armes de convention. Pourtant, ce jour-là, Thibault s’en sort particulièrement bien. Il officie sur une belle finale, un assaut avec de l’engagement physique où deux styles de jeu différents s’affrontent dans une belle danse de couple. A 13-13, Thibault se dit qu’il a vraiment été impérial dans ses décisions, jusque-là.
En fait, il ne saurait pas vraiment dire à quel moment il prend conscience de son erreur, est-ce quand il tend le doigt vers le sol pour désigner l’endroit de l’attaque, ou quand il aperçoit la surprise chez les deux tireurs, ou bien encore quand l’un des deux entraîneurs bondit de sa chaise en prenant sa tête entre les mains, lui qui n’avait pas esquissé le moindre mouvement depuis le début de l’assaut… Il y a des moments où l’on aimerait bien disposer d’une télécommande pour revenir quelques secondes en arrière. Comment a-t-il pu se tromper sur une touche aussi évidente après un pareil sans faute ? Bref, ça fait 14-13, mais pas dans le bon sens.

La fin (attention spoiler) : embourbé dans le film de son erreur, Thibault en enchaîne une seconde sur la touche suivante, qui signe la fin de l’assaut. Tout le monde a déjà oublié sa prestation exemplaire sur les vingt-six premières touches attribuées, on ne retiendra que ses deux bourdes sur la fin. Le tireur lésé et son entraîneur sont hystériques, le vainqueur s’excuse presque en serrant la main de l’autre. Thibault assiste à la scène sidéré et cherche encore à comprendre.

Un déroulement alternatif ?  on aimerait bien en trouver un, mais la capacité de certains individus à se saboter à quelques mètres de la ligne d’arrivée est parfois déroutante. Le meilleur service à rendre à Thibault, comme on peut le faire avec le tireur qui vient de vendanger sa fin de match sans que personne n’ait compris ce qui lui est passé par la tête, c’est d’abord de rendre hommage à sa prestation jusqu’au point de rupture. Puis, non pas pour l’enfoncer, mais pour qu’une personne extérieure puisse mettre des mots sur cette expérience, émettre l’hypothèse du sabotage, avec les réserves de rigueur : « en regardant cet assaut, au moment où tu t’es planté je me suis vraiment demandé si tu ne te mettais pas tout seul dedans ». En psychothérapie, on pourrait être tenté de poursuivre sur cette voie et de demander à Thibault : « qu’est-ce qui aurait pu être si terrible pour toi si tu avais simplement continué d’être bon comme tu l’avais été jusque-là ? Qu’est-ce que tu risquais de si dangereux en étant le meilleur ? »
Mais il conviendrait au préalable de vérifier s’il s’agit d’un épisode isolé ou d’une tendance à répéter ce genre de mésaventure, et il s’agirait surtout d’avancer sur la pointe des pieds, en conservant à l’esprit que réussir devait précisément être sacrément dangereux pour qu’il évite de devenir le meilleur.

Sabotage 5 :  j’ai perdu, bien fait pour toi !

l'auto-sabotage, une façon de punir l'environnement

Le scénario : Fleur vient de gagner son tableau de 16 sur le score de 15-14 contre une tireuse nettement moins forte qu’elle. Durant tout l’assaut, elle a multiplié les erreurs, les approximations et les incompréhensions avec son entraîneur qui lui hurlait des consignes qu’elle exécutait à l’inverse. A l’issue du combat, il lui passera un savon dont seuls les entraîneurs sportifs et les managers pervers ont le secret, la traînant plus bas que terre et lui promettant une cuisante défaite en quart de finale si elle recommence ses conneries. À la pause cigarette, on le croisera furieux, maugréant sur le fait que cette idiote fait exactement l’inverse de ce qu’on lui demande, imaginant sans doute que c’est elle qui résiste et non lui.
Les dix minutes règlementaires étant passées, Fleur est appelée piste 24 à l’heure prévue pour son assaut suivant (oui, c’est totalement improbable, mais on peut rêver, non ?). Écrasant son mégot en catastrophe, son maître d’armes se dépêche de la rejoindre, peu habitué à de telles cadences. Lorsqu’il arrive en bord de piste, elle est menée 2-0 et repart de plus belle dans les erreurs qui ont failli lui coûter sa victoire précédente. « QU’EST-CE QUE JE T’AI DIT !! » hurle l’entraîneur de plus belle en sautant par-dessus la barrière de sécurité. Mais Fleur ne se retourne même pas vers lui et refusera de le faire de manière ostentatoire durant tout l’assaut.

La fin : Au bout de 2’51 au chronomètre, Fleur a perdu 15-3. Son entraîneur, la bave aux lèvres, voit s’écrouler son espoir de la recadrer à la pause du premier tiers-temps pour la faire repartir sur de bonnes bases. Hébété, il en a perdu sa verve et ne fait que hocher la tête négativement, les yeux perdus dans le vague.  Fleur embrasse son adversaire et serre la main de l’arbitre avec le plus grand calme, puis se retourne vers son entraîneur et lui fait un grand sourire. Elle prend ensuite ses armes, son masque et sa bouteille d’eau, puis quitte l’espace des pistes sans lui adresser un regard, ni un mot, les épaules droites et la tête haute.

Pourquoi, mais pourquoiiii ???  Vous me voyez sûrement arriver avec mes gros sabots œdipiens, et il y a peut-être de l’Oedipe dans l’air en effet, mais je vais faire l’impasse sur le sujet. Certes, Fleur a probablement saboté son assaut pour punir son entraîneur, ce qui n’est pas le comportement le plus mature qui soit. Mais parfois, face au pouvoir, la rébellion passe par le chemin d’un auto-sabotage maîtrisé. Jacques Brel soutenait avec une conviction qui transpire le vécu que contrairement à la réussite, l’échec est toujours une preuve de liberté. Fleur a exercé sa liberté de perdre pour se rebeller contre son père une figure paternelle qui passait par là, tout comme le font certains adolescents qui accumulent soudainement les mauvais résultats scolaires pour échapper à la dictature parentale de la réussite. Le pas qu’elle fait à la rencontre d’elle-même, de ses désirs, de ce qu’elle souhaite pour sa vie, est sans doute bien plus important que si elle avait simplement gagné en exécutant les consignes pour faire plaisir, ou pour se soumettre. Ce qui est certain, c’est qu’entre elle et son maître d’armes le contrat moral n’était pas clair, l’objectif non plus, pas plus que les moyens pour l’atteindre. À lui de construire avec Fleur les termes d’un nouveau cadre dans lequel il acceptera peut-être l’idée que sa fille son élève n’est pas un prolongement de lui-même, SA tireuse, mais une personne autonome et douée d’intentionnalité. À lui d’apprendre la différence entre avoir de l’autorité sur autrui et avoir du pouvoir sur autrui.

Sabotage 6 :  ouf, je vais perdre !

Le scénario : Allan est littéralement en train de se faire piler sur la piste comme un glaçon dans une caïpirinha. Son adversaire enchaîne les touches en le laissant totalement impuissant, malgré le soutien de son maître d’armes qui semble pourtant avoir une idée précise de la stratégie à mettre en œuvre. Mais Allan n’est même pas certain de comprendre ce qu’on lui répète depuis le début de l’assaut. A la pause, ça semblait clair, et puis plus rien, le trou noir. Retour au compartiment glace pilée du réfrigérateur.
Et puis à 8-14, alors que l’assaut semble déjà plié ; alors que son entraîneur s’est définitivement tu, résigné ; Allan pige un truc. Il marque une touche, puis une deuxième. Ça semble soudain plus facile.
Du coup, au bord de la piste, l’entraîneur sort de sa torpeur. « Oui, c’est ça ! » dit-il pour valider le changement de jeu d’Allan. Mais dans ses yeux, on peut aussi lire : « c’est ça, mais un peu tard ». Peu importe, Allan réitère, et marque. Une fois, deux fois, trois fois. A 13-14, l’excitation monte autour de la piste. Tout le monde s’est rapproché pour apercevoir ce qui semblait absolument impossible il y a une minute et qui devient maintenant ouvert, tangible. L’adversaire d’Allan transpire à grosses gouttes, seul sans son entraîneur qui a quitté la piste pour aller coacher un autre tireur lorsqu’il a estimé que la victoire ne pouvait plus changer de camp. L’ambiance est à son apogée quand Allan égalise à 14-14.

La fin : Allan encaisse la dernière comme il avait encaissé les quatorze précédentes. Quid de la nouvelle stratégie qui lui avait permis d’effectuer cette remontée fantastique ? Envolée, disparue. Allan retombe dans la même confusion que lors de la première partie de l’assaut. Tout le monde le félicite pour sa belle remontée. Comme à son habitude, il a perdu avec les honneurs.

Pourquoi ?  Allan n’a sans doute pas peur de perdre. Ce qui le terrifie bien davantage, c’est plutôt de gagner. Alors dès qu’un assaut comporte une issue incertaine (en clair dès qu’il tombe sur un adversaire à son niveau), il ne s’autorise à tirer à 100% que s’il a pu au préalable s’assurer de sa future défaite. Alors, il peut enfin laisser s’exprimer son talent, sans que ne subsiste le risque de vaincre.
Une hypothèse, c’est qu’Allan a des difficultés à gérer la rivalité. Cela s’observe particulièrement avec les tireurs qui battront sans problème les adversaires moins bien classés qu’eux, mais qui s’inclineront systématiquement sur les mieux classés ou sur ceux qui sont à leur niveau. Un facteur aggravant sera peut-être la proximité avec l’adversaire. L’impossibilité de battre un copain en compétition s’observe souvent chez les mêmes tireurs. Car gagner, c’est aussi assumer de faire perdre l’autre. Allan peut-il assumer de faire du mal à l’autre, au moins fantasmatiquement ?

Une variante efficace de ce scénario se retrouve dans l’acharnement quasi méthodique de certains tireurs à perdre leurs poules, de façon à être certains de ne pas se retrouver en position de force dans le tableau d’élimination. Cela leur permettra de faire des matches héroïques contre les premiers, et de perdre honorablement, sans avoir engagé le risque de prendre trop de place.

Sabotage 7 :  florilège

Le scénario : il y en aurait encore beaucoup sans doute. Citons pour mémoire et pour ceux qui s’y reconnaîtront :

  • Le tireur-robot qui analyse et décortique la technique de ses adversaires en oubliant un seul détail : leur qualité d’être humain. À savoir, imprédictibilité, intentionnalité, absence de logique systématique, etc. ;
  • Le tireur qui ne vérifie pas son matériel ou celui de l’adversaire et perd son assaut à cause d’une panne alternative peu visible, et alors même qu’il doute de son matériel depuis la première touche ;
  • L’arbitre de sabre qui ne départage pas les tireurs au centre en début d’assaut et se retrouve avec un pugilat inarbitrable fait d’attaques simultanées de plus en plus mal exécutées et de hurlements de tireurs qui ont renoncé à tenter autre chose ;

Un thème commun semble émerger de toutes ces situations (dont aucune n’a évidemment été inventée), celui de la place à prendre, du positionnement. Il s’agit à chaque exemple d’engager une responsabilité et de tenir une position. Une bonne raison pour se saboter, c’est quand cette position présente un danger, un risque. Puisque gagner équivaut à se mettre en avant, si mon expérience intime et précoce me rappelle qu’à chaque fois que j’ai voulu me mettre en avant je me suis fait dézinguer, j’aurai probablement tendance à vouloir éviter de reproduire cette sensation douloureuse. Mais pourquoi faire de la compétition dans ce cas ? C’est une belle question, qui mériterait quelques paragraphes supplémentaires. Pour insuffler une note positive dans ce billet, je dirais bien : parce qu’on ne sait jamais, les choses peuvent changer.

 

Image du bandeau : Bruno /Germany de Pixabay

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Le Bruit des lames, récit de terrain d’un jeune maître d’armes, est sorti le 1/9/2020.
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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)

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  1. Six gerard

    Bonne analyse de la
    Peur de gagner. Peur de perdre
    Savoir gérer les émotions et les motivations est essentiel pour le tireur comme pour le coach d’où beaucoup de choses à mettre en place comme l’observation . Bien débuter un match. Savoir le finir. Connaître les solutions face à différents types de tireurs … et surtout toujours parlerà la tête avant de parler technique ou physique…

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